D’où vient pour un manager la perception que son équipe ne fonctionne pas ?
Cette perception provient de signaux faibles, d’indices comme une communication inefficace, des personnes qui sont constamment sur leur téléphone lors des réunions, des décisions difficiles à prendre, des caméras qui se ferment pendant les réunions en visio, un manque de rebonds créatifs ou un manque d’alignement des objectifs.
Tous ces signaux faibles ne sont pas tous liés à un évitement d’équipe, mais il est important d’approfondir la question, de creuser cette perception.
Que recherche un manager lorsqu’il veut que son équipe retrouve du collectif ?
Ce manager cherche davantage de collectif, mais pourquoi veut-il plus de collectif ? Est-ce pour plus de plaisir ? Plus d’énergie ? Plus de progression ? Plus de créativité ? Plus de cohésion ?
En fait, le manager a perçu une perte d’efficacité collective. Cela signifie que globalement, nous ne sommes plus dans un schéma où 1+1=11.
Le manager a l’impression que les modes de fonctionnement se complexifient et qu’il y a perte de créativité, de performance.
Il constate que chacun donne le meilleur de lui-même individuellement, mais que la dimension équipe est absente.
D’où vient ce désinvestissement du collectif ?
Cela peut être causé par plusieurs facteurs, comme un manque d’alignement sur un objectif commun ou des tensions relationnelles.
Lorsqu’on est fatigué, comme beaucoup de personnes le sont en ce moment, il est plus difficile d’établir des liens sociaux. Aujourd’hui, nous sommes donc particulièrement dans une phase où s’ouvrir au collectif est un choix.
Certains individus préfèrent s’isoler ou du moins réduire leurs interactions sociales et privilégient les relations simples avec leurs amis proches. Il y a moins d’efforts envers la dimension collective.
Est-ce qu’un collaborateur peut être engagé individuellement mais pas collectivement ?
Oui tout à fait.
Par exemple, aujourd’hui les collaborateurs apprécient de pouvoir donner la priorité à des choix personnels, comme la sortie d’école ou le rdv livraison, ce qui n’était pas aussi facilement accepté, ni recherché, auparavant. Cependant, cette recherche d’équilibre pro-perso peut porter préjudice à la dimension collective, même si le travail est bien fait et que la performance et la productivité individuelle sont au rendez-vous.
D’autres peuvent être fatigués des réunions virtuelles et ne voient pas l’intérêt d’allumer leur caméra, ce qui limite les interactions et empêche de déceler les signaux non verbaux. Nous perdons les rebonds de créativité. Nous sommes de plus en plus connectés au digital, mais de moins en moins connectés les uns aux autres sur le plan humain. Mais pour autant, l’engagement individuel est présent.
Ramener les gens au bureau ne garantit pas non plus toujours une reconnexion collective. Certains peuvent dire : « Je reviens tel jour, pas à tel moment », et s’ils ont prévu une journée de télétravail pour avancer sur leurs sujets de fond individuels, ils ne feront pas forcément d’efforts pour participer à une réunion d’équipe.
Globalement, on observe que cette dimension collective est plus complexe et moins spontanée qu’auparavant.
Ce qui fait que même si l’équipe fonctionnait déjà bien auparavant ce n’est pas évident. Dans les équipes qui fonctionnaient déjà bien, dans lesquelles il y avait des relations fluides, il est important que cela continue à circuler dans le tuyau de la relation pour que le collectif perdure.
Mais pour les équipes qui étaient auparavant une équipe simplement parce que les personnes étaient toutes assises dans la même pièce, il manque quelque chose et aujourd’hui, il y a une déconnexion. Même si nous ramenions tout le monde dans la même pièce et le même bureau, il y aurait de toutes façons la question de redonner à nouveau l’envie de s’investir dans le collectif.
Donc, chacun doit se poser la question « Comment je peux me réengager dans cette dimension collective ? ».
Dans un contexte de travail hybride, comment un manager peut-il remettre du collectif ?
En tant que manager, il est essentiel de prendre du recul sur ce souhait de retour du collectif.
Était-il réellement présent auparavant ? Le manager se doit de réaliser un petit diagnostic d’observation autocritique, car nous ne pouvons plus manager de la même manière qu’auparavant. Il y avait des choses qui fonctionnaient naturellement, des rituels d’équipe pour se croiser dans la cafétéria, des interactions qui se déroulaient différemment. Aujourd’hui, le contexte nécessite de ritualiser certaines pratiques qui étaient informelles, de créer des moments de rencontre, de poser un cadre équitable qui ne soit pas trop rigide – avec des règles du jeu.
Il est important de permettre à chacun de comprendre le sens de ce cadre collectif. Ce n’est pas simplement des règles pour des règles, ce sont des règles pour favoriser l’efficacité collective.
Le manager doit également prendre du recul sur son éventuel agacement face à certains comportements ou prendre conscience de sa part de responsabilité.
Il doit se demander comment il peut susciter l’envie de faire équipe. Est-il lui-même disponible pour son équipe ou est-ce que qu’il enchaîne les visioconférences et les réunions virtuelles, au point de ne plus savoir quand prendre le temps pour des entretiens individuels ?
Pour le manager, remettre du collectif signifie réexaminer sa pratique managériale, l’organisation et l’utilisation de son temps. Il s’agit de ritualiser ces moments collectifs et d’accompagner les collaborateurs pour retrouver l’envie d’être ensemble. Cela signifie passer d’une approche managériale verticale à une pratique plus horizontale, qui englobe tout le monde. Cela implique de rechercher la motivation intrinsèque de chaque individu.
Tout cela est encore plus exigeant du point de vue managérial, car auparavant, les rencontres informelles pouvaient suffire à dynamiser le collectif. Désormais, cela ne fonctionne plus automatiquement.
En tant que manager, puis-je prendre l’initiative de demander à tous les participants d’allumer leur caméra lors des réunions en visioconférence, même si cela n’a pas été le cas auparavant ?
En ce moment, de nombreux managers se sentent un peu perdus et se demandent ce qu’ils peuvent faire, quelles sont les règles et les droits en vigueur.
Je pense qu’il est important que toutes les caméras soient allumées pour favoriser une réelle dynamique d’équipe. Le manager peut établir cette règle en donnant le sens, en expliquant que, jusqu’à présent, cela n’a peut-être pas été fait, mais que pour la dynamique d’équipe, il est important que chaque membre du collectif soit inclus et d’éviter une logique d’exclusion du groupe. Or, lorsque quelqu’un éteint sa caméra, il s’exclut du groupe.
Le manager peut expliquer que l’inclusion fait partie des valeurs qu’il souhaite instaurer au sein de l’équipe et que de facto il attend que tout le monde allume sa caméra.
Si quelqu’un ne le fait pas, il est important de comprendre pourquoi, quelles sont les contraintes et les empêchements. Puis de réfléchir ensemble à la meilleure façon de gérer cela.
C’est là que la règle et notre rapport à la règle entrent en jeu. Si quelqu’un ne peut pas respecter la règle, il doit être transparent sur les raisons et expliquer sa contrainte qui l’empêche d’allumer sa caméra pour que les autres participants comprennent. Cela permet d’éviter que d’autres prennent la même habitude sans en connaitre la cause et s’octroient la même autorisation.
Ainsi, nous devons décider collectivement si nous acceptons une dérogation à la règle. Parfois, pour maintenir la règle, il peut être choisi collectivement pour permettre de répondre à cette valeur d’inclusion, de changer un horaire de réunion par exemple.
En résumé, le manager doit donner un sens à la règle. Ce n’est pas simplement une règle pour la règle, mais dans quel objectif et dans quelle perspective ?
Il y a deux façons de donner un sens : soit en expliquant les avantages d’une dynamique d’inclusion et de créativité, soit en impliquant l’équipe en leur demandant leur avis, leur réflexion sur le fait d’allumer ou non les caméras : Qu’est-ce que cela apporte ? Quelles sont les limites ? Qu’est-ce qu’on gagne ? Qu’est-ce qu’on perd ? et par conséquence, qu’est-ce qu’on décide collectivement de faire ?
Les deux approches sont valables, cela dépend du manager et du contexte de l’équipe.
Quel pourrait être l’intérêt pour un salarié de faire l’effort de s’investir à nouveau dans un jeu collectif ?
S’investir à nouveau dans le jeu collectif est un effort, et comme pour tout effort les avantages ne viendront pas immédiatement. C’est comme commencer une activité sportive ou arrêter de fumer, les résultats ne sont pas immédiats, il est important de voir cela sur le long terme, en perspective d’une échéance donnée.
De plus, cela ne peut se faire seul, cela doit être une dynamique collective, sinon il y aura risque d’épuisement. Cela signifie que collectivement on décide ensemble de se diriger vers cet objectif. Cela permettra à chacun de retrouver du lien social, mais comme évoqué, en ce moment certains peuvent ne pas avoir ce souhait. Mais cette réaction est une réaction de protection émotionnelle.
Il s’agit donc de prendre du recul et de comprendre le sens de s’ouvrir à l’autre, de rétablir cette connexion.
De nombreuses études en psychologie positive ont démontré que le soutien social et émotionnel est l’un des leviers les plus puissants pour améliorer la qualité de vie au travail, réguler le stress et réduire les risques psychosociaux. C’est également un levier de créativité.
Donc, cela apporte énormément de choses, mais pour cela, il faut en faire l’expérience. Il faut y aller progressivement.
Et si cela est difficile de se réouvrir, rien n’empêche d’exprimer ses limites en disant, par exemple : « Je suis d’accord pour participer, mais je ne suis pas à l’aise de venir à une grande soirée où tout le monde est présent d’un coup. » Il s’agit d’apprendre à exprimer ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas pour soi. Cela ne signifie pas être contre, c’est simplement une expression de ses préférences, de ses besoins.
Il est important de se rappeler que la nature humaine est bienveillante, et même si parfois nous pouvons douter des réactions de certaines personnes lorsque nous sommes en colère, dans l’ensemble, les gens sont attentifs les uns aux autres.
Une dynamique positive s’installera alors naturellement, mais il est nécessaire que chacun fasse un petit pas pour que nous puissions faire un grand pas collectivement.
Les clés d’Ajadi :
Pour remettre du collectif dans son équipe, le manager ne pourra pas y arriver seul, c’est une co-responsabilité de chaque membre, chacun devra faire un pas. Le collectif n’est pas une évidence, cela se décide individuellement.
Pour favoriser cette décision et redonner envie, le manager devra réexaminer sa pratique managériale :
- Permettre d’expérimenter le sens du collectif
- Définir et faire respecter un cadre et des règles du jeu collectif
- Prendre du recul sur ses irritants et ses jugements rapides
- Structurer son temps pour observer et animer ce collectif
- Ritualiser des temps collectifs inclusifs
- Faire réfléchir les collaborateurs sur les conséquences à jouer ou non collectif
- Comprendre les freins individuels, les lever collectivement en s’intéressant aux besoins
Cet article est issu du podcast « Les Pratiques du Management », durant lequel Aurélie Durand répond, chaque mois, aux questions de Frédérique Roseau, Rédactrice en Chef à la Revue Fiduciaire.