Quel est le portrait-robot du senior dans le monde du travail ?
Concernant les seniors, comme pour les jeunes générations, nous avons des stéréotypes, des préjugés d’âgisme, nous dressons des portraits robots qui mettent dans des cases. Les individus sont singuliers. Il n’y a pas une seule « espèce » de senior.
C’est une réalité qu’il y a des individus en fin de carrière, et que de ce fait leurs préoccupations peuvent être différentes dans leurs vies professionnelles et personnelles que celles d’une personne en début de carrière. Mais dire que les seniors « ne sont pas digitaux », « coûtent cher », « ne sont pas flexibles », « ont moins d’énergie », ce sont des jugements à l’emporte-pièce et caricaturaux qui manquent d’ouverture.
Classiquement nous rejoignons l’appellation « senior » à 45 ans, c’est à peu près au moment où les individus passent dans leur 2eme partie de carrière. Mais dans certaines entreprises, comme les cabinets de conseil, le senior est une personne de 28 ans qui a 3 ans d’expérience.
Senior ne veut rien dire. C’est une manière de catégoriser une population mais c’est aussi une façon de justifier, d’expliquer certaines difficultés managériales ou certaines attitudes …. Et ce faisant, on remet les gens dans des cases.
Est-ce qu’il y a un mode de management différent en fonction de l’âge du senior ?
Effectivement, on ne manage pas de la même façon une personne de 45, 50 ou 55 ans, car on ne manage personne de la même manière. Ce n’est pas lié à l’âge. Chaque individu est unique.
Et pour tout individu, quel que soit son âge, il y a la question de la reconnaissance au travail, de l’employabilité, de l’utilité, de la valeur ajoutée apportée. Chacun quel que soit son âge se pose ces questions, a envie de se développer, a envie de contribuer & d’être impliqué dans un projet.
Mais il est vrai que plus on a de l’expérience, plus on peut souhaiter transmettre, sans que cela soit d’ailleurs systématique.
Et plus on a de l’expérience, plus on peut être critique dans certains contextes qui ont un air de « déjà vus », ce qui peut complexifier la relation managériale.
Mais, comme pour les jeunes générations, et comme pour tous les collaborateurs, c’est à chacun, senior ou pas, de prendre du recul sur ses expériences et se questionner sur sa part de responsabilité pour remplir son contrat, s’impliquer dans l’entreprise.
Il n’y a pas un management à part pour les seniors, mais il y a un management fin à mettre en œuvre, comme pour tout management d’équipe dans laquelle on a des individus différents.
A quoi les seniors pourraient être plus sensibles ou quelles pourraient être leurs attentes ?
La 1ere chose en tant que manager est de ne pas faire de raccourcis rapides sur les attentes des seniors, cela amènerait à des stéréotypes et des jugements.
Pour ce faire, le manager doit installer un dialogue pour aller à la rencontre de chacun.e, questionner, écouter les points de vues, les perceptions, les souhaits d’apport de valeur ajoutée, bref mener un entretien de motivation, de mobilisation, d’engagement comme cela serait fait pour n’importe quel collaborateur.
Après, en termes d’attentes, compte tenu de son chemin de vie, le senior peut se questionner sur son investissement professionnel versus familial du fait qu’il devienne grand-parent ou qu’il se retrouve aidant pour ses propres parents. Il peut avoir des attentes autour de la souplesse et flexibilité d’organisation du travail.
Mais encore une fois, cela dépend de chaque individu et cela n’est pas propre aux seniors.
Le manager doit donc être à l’écoute des attentes liées aux contraintes du champ de vie personnel qui peuvent avoir un impact sur l’efficacité individuelle dans le champ professionnel.
Il peut y avoir également des attentes de transmission, du fait de laisser une trace, mais cela n’est pas systématique, c’est à interroger dans le dialogue évoqué précédemment.
Qu’en est-il de confier la formation des jeunes aux seniors ?
C’est une bonne idée de confier la formation des jeunes aux seniors, mais il ne faut peut-être pas le faire systématiquement et ni pour tous les nouveaux arrivants !
Il est important que le senior en formule la demande, suivant sa personnalité, son appétence. Certains seniors peuvent être sur la réserve « puis-je réellement être dans cette position de pédagogue ?», « est-ce quelque chose qui va me plaire ? ». Dans ce cas, c’est une bonne idée que le senior en fasse l’expérience.
Certains vont naturellement apprécier cette posture pédagogique, d’autres seront des sachants, d’autres préféreront rester dans leur expertise.
Être pédagogue est une compétence qui s’apprend, c’est un métier, et on peut ne pas tous le souhaiter.
L’autre point important est de définir les attendus de cette position de transmission pédagogue qui n’est pas du management, de clarifier le rôle et responsabilités de chacun, d’estimer la charge de travail associée et le temps dédié.
En effet, il ne s’agit pas que le manager se désengage de sa propre responsabilité managériale en confiant le petit jeune au senior, ni que cela surcharge le senior.
Que faire pour renforcer les aptitudes digitales des seniors ? Faut-il continuer à les former ?
Comme pour tout individu, le senior peut toujours avoir une envie de développement et c’est toujours de la responsabilité de l’entreprise de développer l’employabilité, de soutenir la motivation intrinsèque, de reconnaitre l’individu. L’entreprise doit continuer à investir et à développer les seniors, donc à leur proposer des formations. Mais l’entreprise doit également être vigilante à développer un climat de confiance pour permettre au senior d’exprimer ses besoins de formation quels qu’ils soient.
Le numérique peut être un axe du plan de formation.
Tout changement d’habitude génère une résistance au changement. Ainsi pour le numérique, comme pour tout changement, un temps d’appropriation, un temps d’apprentissage est nécessaire pour retrouver des réflexes. Ce n’est pas que les seniors ne sont pas digitaux, c’est qu’ils ont besoin du temps de l’expérience au contraire des jeunes générations qui « sont tombées dedans enfants ».
L’entreprise a pour responsabilité de soutenir cette formation, comme tous types de formation. Certaines entreprises proposent des formations à la sortie du monde de travail. C’est une bonne idée si elles sont proposées et non imposées, ce qui reviendrait à stéréotyper !
Comment prendre en compte les seniors en fin de carrière qui pourraient être perdus ou en perte de motivation face au rallongement de la durée du temps de travail ?
Dans ces contextes de rallongement de la durée du temps de travail, nous sommes dans un contexte proche de celui d’un changement subi, qui génère des émotions à l’image de la courbe du deuil. Il y aura souvent pour le senior une phase de colère avant une phase d’acceptation, « qu’est-ce que je fais avec ça ? », et de reconstruction du nouveau futur.
Pour le manager il s’agit d’adopter une posture similaire à celle qu’il prendrait pour accompagner un collaborateur en difficulté. Il ne s’agit pas d’aller sur le champ de l’intimité, le senior est libre de communiquer ou pas sur le sujet. Mais le manager doit être à l’écoute des signaux faibles cognitifs, relationnels ou comportementaux qui pourraient laisser penser que le senior est en difficulté émotionnelle. En effet, si ce changement le perturbe, cela crée une charge mentale qui peut générer un épuisement physique et émotionnel. Le manager peut dans ce cas questionner en disant « j’observe que depuis un certain temps des signes… je peux présupposer qu’il y a quelque chose qui n’est pas OK pour toi, qu’en est-il ? de quoi aurais-tu besoin ? ». L’enjeu est d’entamer un dialogue, un échange pour apporter du soutien social.
Les clés d’Ajadi :
Manager un senior ne nécessite pas un management à part, mais nécessite de sortir des stéréotypes de l’âgisme pour pouvoir accompagner l’individu dans sa singularité, son contexte. A savoir :
- Prendre du recul sur les biais cognitifs, les émotions, pour éviter de précipiter, ralentir, juger, culpabiliser, faire un déni de la situation …
- S’assurer du jeu collectif, de l’ouverture et de l’inclusion
- Ecouter et comprendre les besoins du collaborateur
- Clarifier et reconnaitre la valeur ajoutée
- Proposer, sans imposer, des dispositifs pour soutenir le bien-être et le développement du collaborateur
Cet article est issu du podcast « Les Pratiques du Management », durant lequel Aurélie Durand répond, chaque mois, aux questions de Frédérique Roseau, Rédactrice en Chef à la Revue Fiduciaire.