Manager une équipe composée de personnes qui ont des statuts tout à fait différents : le manager doit-il se questionner ?
Manager des collaborateurs qui ont des relations contractuelles différentes, cela complexifie le rôle du manager qui n’est déjà pas évident.
En effet, l’autorité hiérarchique n’est pas vécue de la même manière par chacun des statuts. Le principe de l’autoritarisme hiérarchique, qui fait que quand on est sous contrat vis-à-vis de l’entreprise, nous devons répondre aux attendus, objectifs fixés par notre hiérarchie, est totalement remis en cause. Il n’y pas plus de prise.
Un « mis à disposition » est dans une logique contractuelle client, un freelance est prestataire, un intérimaire doit pouvoir être motivé pour être impliqué, engagé ; un stagiaire lui a trois ou six mois à passer dans l’entreprise, ou l’objectif d’y rester plus longtemps, ça dépend. Bref, le lien de « subordination » de tous ces individus n’est pas le même. Pour le manager, le jeu d’équilibriste est plus fort.
Comment faire en sorte que chacun des membres de cette équipe hybride se retrouve ? s’y retrouve ?
Cette complexité nécessite beaucoup de clarté et de transparence.
Clarté sur les objectifs de l’équipe, clarté sur comment chacun va y contribuer de sa place, de ses compétences, clarté donc sur le rôle de chacun pour atteindre ces objectifs-là.
Cela nécessite également de la clarté sur le cadre relationnel et sur le cadre organisationnel au sens rituel et réunions.
Salariés comme freelances, peuvent être impliqués pour la réussite d’un projet commun avec le même engagement émotionnel. Mais un salarié le sera à 80-100% de son temps. Alors que le freelance, lui n’a pas la même disponibilité temps. Si une réunion est décalée à la dernière minute, ou si elle démarre en retard, cela peut lui poser plus de problème compte tenu du fait qu’il est engagé également ailleurs.
Pourquoi intégrer un expert freelance dans une équipe et comment créer un cadre relationnel qui convienne à chacun ?
Pourquoi le freelance serait dans une réunion d’équipe ? Par ce que dans une relation de partenariat, il y a la confiance et que la confiance nécessite de tisser les relations, d’où l’intérêt d’une présence du freelance dans les réunions.
Pour autant, cette hypothèse est avant-gardiste. Il est rare que le freelance soit intégré dans une équipe, même si cela parait pertinent en création de valeur.
Très souvent, le freelance est « caché » derrière un collaborateur, il est sous la responsabilité d’un des membres en CDI de l’équipe et n’est pas forcément associé aux réunions collectives. Il est associé aux réunions en collaboration avec celui qui a signé son contrat de mission mais il n’est pas forcément présent dans les réunions de réflexion, ce qui peut avoir des avantages, inconvénients à poser.
En tant que manager, se poser la question de qui je mets autour de la table, sans être dans une logique d’ego de statut est pertinent. Cela peut permettre de faire gagner du temps, d’apporter de l’expertise et de la valeur ajoutée.
Le freelance qui est expert, va pouvoir, pour un temps donné, sur une problématique donnée, concrètement apporter une prise de hauteur sans avoir d’enjeux, politique ou personnel. Il est là pour apporter sa valeur ajoutée.
Mais face à cette présence, certains collaborateurs pourraient se questionner sur le sens et réagir en résistance, se questionner sur pourquoi on écouterait quelqu’un extérieur à l’entreprise ? Et comme son temps est facturé, l’enjeu pour le freelance est aussi d’optimiser sa valeur ajoutée en fonction de cette facturation de temps pour ne pas être perçu comme « il nous facture du temps, point ». Cette posture n’est pas évidente lorsqu’on est jeune freelance et qu’on a précédemment été salarié.
C’est pourquoi, il est très important d’être au clair sur les objectifs et les attendus de chacun, en complémentarité.
Comment animer cette communauté hybride ?
Le manager, pour animer cette communauté hybride avec freelances mais aussi « mis à disposition », stagiaires, alternants, doit pouvoir exprimer à chacun quel est son rôle, quels sont les attendus, quels sont les objectifs de la réunion, quelle est la contribution effectivement attendue de chacun.
Puis observer, mesurer à travers des indicateurs la pertinence de la présence de chacun. Mesurer ne veut pas dire sanctionner ou évaluer, mais mettre en lumière la valeur ajoutée de la complémentarité des expertises lorsqu’elles se rencontrent.
Et pour que ces expertises se rencontrent, il doit également prendre soin des conditions de travail dans lesquelles chacun se situe pour lui permettre d’apporter le meilleur de lui-même.
C’est la même intention managériale que le management inclusif dans le cadre de la diversité. Dans ce contexte, les profils sont différents d’un point de vue contractuel.
Derrière les conditions de travail, il y a aussi la notion d’outils collaboratifs qui doivent pouvoir être utilisés par chacun. Ces outils de collaboration interne qui deviennent externes complexifient les procédures de sécurité IT qui ne le permettent pas toujours.
Et, au même titre que quand on intègre un salarié, on prévoit un temps de montée en compétence, un tour des bureaux, pour le stagiaire, l’alternant, le « mis à disposition », le freelance partenaire, il faut également prendre soin de la période d’intégration, tant sur les relations que sur le cadre de la collaboration, des outils, etc. Les RH ont ici leur rôle à jouer.
Enfin, généralement, pour tous les prestataires extérieurs, les achats sont dans la négociation pour aller identifier les bons profils.
Ainsi, le succès d’animation de ces communautés hybrides repose sur la collaboration de quatreparties : métier, achat, RH et IT. Ces équipes hybrides étant de plus en plus fréquentes, ces entités vont de plus en plus devoir travailler en agilité et collaboration. Et bientôt, il y aura aussi la question de l’intégration du « stagiaire CHAT GPT » dans cette dynamique collective de création de valeur.
Compte tenu de la complexité d’animation, finalement, quels sont les atouts, quel est l’agrément humain d’avoir une équipe pluri-statut ?
Humainement, l’atout principal est l’ouverture. C’est tout le principe de l’inclusion, de la diversité. En étant pluri-statut, on est moins dans la reproduction de clones. On est beaucoup plus dans une ouverture puisqu’on intègre des profils qui viennent d’univers totalement différents, avec des préoccupations différentes,avec des angles de vue différents sur les situations, avec des problématiques différentes.
Mais les contraintes des uns et des autres ne sont pas les mêmes.
Avoir cette réflexion autour des contraintes différentes peut être vécue de deux manières. Nous pouvons la vivre comme étant lourde parce qu’il faut trouver l’alignement qui convient à tout le monde, mais nous pouvons aussi la vivre comme une super source de créativité parce que cela oblige à penser différemment. Cela oblige à faire le pas de côté et à réaliser la prise de hauteur qui permet d’avoir de nouvelles idées et de développer plus de créativité.
En revanche, cela nécessite que cette ouverture soit partagée par l’ensemble de l’équipe, qu’un état d’esprit « jeu collectif » soit partagé. Et cela nécessite aussi, plus que de l’égalité, de l’équité. Ces deux principes sont très exigeants pour le manager.
En fait, le plaisir dans cette complexité vient de la rencontre avant tout.
Pour conclure, comment intégrer dans son équipe un nouveau partenaire : l’intelligence artificielle ?
À date, il important que tout le monde essaie et expérimente. Chacun peut avoir un usage différent de cette intelligence artificielle. Il est important que chacun arrive bien à comprendre les tenants, les aboutissants, les avantages, les risques, la confidentialité, l’éthique, les données qui sont derrière.
Que chacun expérimente sans chercher à copier l’autre, qu’il pose des questions, qu’il teste, qu’il voit ce qu’il en est et qu’il « parle à cette IA » même si derrière ce sont des algorithmes. Chacun aura ainsi des réponses qui lui permettront de rebondir et de savoir quoi en faire pour lui.
L’intelligence artificielle, suivant les métiers, peut apporter énormément en synthèse, faciliter toute une partie industrialisable et répétitive des missions, mais peut être aussi un très bon « sparringpartner » de réflexion. Cependant, en tant qu’individu, nous conservons notre libre arbitre, notre capacité de décision.
Et peut-être qu’effectivement un jour nous aurons des avatars d’IA autour de la table, dans les conversations Teams. C’est quelque chose à envisager, nous en reparlerons peut-être dans quelques années.
Les clés d’Ajadi :
Pour manager une équipe hybride, avec des CDI, freelances, stagiaires… qui crée de la valeur :
- Faire preuve d’ouverture sur les modes de fonctionnement de chaque statut et la richesse de la complémentarité
- Se détacher du principe de subordination hiérarchique, prendre du recul sur ses automatismes
- Être clair et transparent sur les objectifs d’équipe, la contribution de chacun, la complémentarité des compétences
- Être exigeant sur le cadre relationnel et les rituels organisationnels qui doivent permettre confiance, respect, jeu collectif, équité
- Mesurer, mettre en lumière la valeur ajoutée
- S’assurer de conditions de travail et d’intégration inclusives
Cet article est issu du podcast « Les Pratiques du Management », durant lequel Aurélie Durand répond, chaque mois, aux questions de Frédérique Roseau, Rédactrice en Chef à la Revue Fiduciaire.