Face à un jeune qui serait exigeant vis-à-vis de ses missions, du sens de son poste, comment un manager peut-il prendre en compte ses attentes ?
Quelle soit jeune ou non, toute personne recherche un travail avec du sens, comme nous y fait réfléchir la pyramide des besoins de Maslow.
Mais nous faisons aussi face à une problématique sociétale liée au changement de rapport d’assujettissement au travail. Il semble que la jeune génération soit moins encline à être dans la valeur effort contrairement aux générations précédentes, dont nous les parents de ces jeunes.
Face à cette exigence, l’enjeu principal pour le manager est de ne pas répondre par « oui ou non » ou de rentrer dans le combat « jeune contre vieux », de qui est détenteur de la vérité. L’enjeu pour le manager est d’éviter d’installer un rapport de pouvoir et de questionner ce qui sous-tend cette exigence et le progrès qu’elle pourrait apporter. C’est-à-dire « qu’est-ce qu’attend ce jeune ?», « en quoi ces attentes pourraient apporter de la valeur au collectif, pourraient contribuer au progrès pour l’ensemble de l’équipe ou pour le poste ? ».
Être exigeant pour être exigeant, n’est pas une approche créatrice de valeur et constructive. S’il y a effectivement exigence, c’est qu’il y a surement un besoin sous-jacent caché derrière cette exigence, besoin qui pris en compte pourrait apporter de la valeur.
L’exigence est légitime qu’on soit jeune ou moins jeune, mais les jeunes l’expriment plus et pas toujours adroitement. Comment en tant que manager ne pas être désarçonné ?
Les jeunes générations osent dire tout haut ce que l’ensemble des salariés pensent tout bas.
Les jeunes ont moins « peur » de la réaction de l’autre, de perdre leur travail, d’être dans l’incertitude.
Au regard de ce qu’il s’est passé dans le monde depuis les années 2000, les jeunes sont habitués depuis leur naissance aux changements, à évoluer dans des systèmes complexes. Globalement, la génération des X ou des baby-boomers était peut-être plus installée, moins à oser, elle restait plus dans un cadre.
Les jeunes générations cassent les codes et cela peut surprendre. D’autant plus que pour la majorité d’entre nous, nous côtoyons ces jeunes à la maison. Ce sont nos enfants, petits-enfants, ou nos frères et nos sœurs. Donc il y peut y avoir un choc à les retrouver dans le monde de l’entreprise. Il est important de ne pas tout confusionner et de se rappeler que l’on est dans le cadre de l’entreprise, avec un rapport contractuel et une attente de résultat et de performance collective pour apporter de la valeur.
Donc en tant que manager, lorsque je perçois cette exigence, il est important de prendre du recul pour être dans une position d’ouverture, afin de ne pas m’agacer et me braquer du fait que le jeune vient « titiller dans les coins faibles », comme par exemple « faire ce que je rêve de faire depuis toujours et que je n’ai jamais osé faire ».
En miroir, relationnellement, il est aussi important que le jeune soit dans une position d’ouverture pour qu’il y ait un dialogue constructif possible.
Comment en tant que manager reposer le cadre, les codes de l’entreprise face à des jeunes qui parfois peuvent être « décalés » et qui souhaitent par exemple encore plus de flexibilité, au-delà des RTT, du télétravail ?
Pour permettre aux jeunes d’acquérir les codes, il faut que ces derniers aient un sens. Et la 1ere étape est de leur laisser le temps d’apprendre ces codes qui ne sont pas forcément les codes de la famille ou de la société. Il y a, pour tout jeune, quelle que soit la génération, une période d’adaptation qui peut être revendicatrice.
Par ailleurs, le phénomène des réseaux sociaux fait que l’expression des jeunes est plus visible. Mais évitons la stigmatisation générationnelle. La parole d’un jeune n’a pas moins ou plus de valeur. Il est adulte responsable, recruté pour son degré d’expérience en accord avec le niveau attendu pour son poste. Un dialogue ouvert doit donc se mettre en place. Mais oui, il y a des codes à acquérir.
Concernant le souhait de flexibilité, émerge le fait que la valeur effort n’a plus la même signification, n’est plus investie comme auparavant et que globalement notre société évolue vers une société dite de loisirs, avec plus d’équilibre vie pro/vie perso, plus de recherche de plaisir immédiat.
Soutenir la recherche du « flow », c’est-à-dire la recherche d’accomplissement qui génère du plaisir, creuser les concepts de psychologie positive est intéressant si cela reste dans un cadre, dans un but de développement et non pas dans la dérive extrême de « liberté de faire tout ce qu’on veut ». Ces générations nous questionnent sur comment est-ce que l’on prend en compte les forces, les talents, les compétences de chacun pour être tous des personnes ressources au service d’un projet, d’un cadre collectif.
Face à une injonction, dans le passé, nous ne nous rebellions pas et obéissions. Aujourd’hui, les jeunes générations n’obéissent plus, il faut qu’il y ait du sens.
Tout l’enjeu pour le manager face à un jeune qui veut agir comme cela l’arrange, c’est de remettre la question du collectif au centre et de se questionner sur la pertinence de la contrainte.
Peut-être que certaines contraintes sont des habitudes ou process qui n’ont plus de sens aujourd’hui. Ou des contraintes arbitraires « il faut, on doit » qui génèrent de l’émotion par leur obligation, leur pression. Dans ce cas, elles sont peut-être à faire évoluer.
En revanche, il y a aussi des codes, des cadres à respecter pour le bon fonctionnement du collectif. C’est comme le code de la route, avec des feux rouges, des priorités à droite.
La contrainte qui n’a pas ce sens est questionnée. Et ce débat dépasse le monde de l’entreprise. Mais dans d’autres cas, la contrainte doit être respectée. Il est donc important d’expliquer et non d’imposer pour imposer. Voire de faire réfléchir l’autre pour lui permettre de trouver le sens tout seul.
Qu’en est-il de l’individualisation attendue du management des jeunes ? Un manager est-il là pour coacher le jeune, un membre de son équipe ?
Derrière les expressions « manager coach », « manager psy », « manager tuteur », « manager mentor », il y a beaucoup de nuances, mais in fine un seul message.
Nous sommes dans une époque où le management très globalisé, généralisé, verticalisé, où tout le monde fait la même chose, tous en même temps, est remis en question, que l’on soit jeune génération ou non.
Aujourd’hui, pour soutenir l’apprentissage, on cherche à faire émerger l’envie, la motivation intrinsèque, plus que la motivation extrinsèque, par la carotte ou la punition. On cherche ce qui va mettre l’autre en mouvement. Et c’est ce que fait un coach quand il accompagne un collaborateur : faire réfléchir, partir de lui individu, lui permettre de suivre son mouvement en étant aligné avec ses talents, ses compétences et de progresser.
C’est donc un plus si le manager développe cette compétence.
Et effectivement, c’est attendu de la part des jeunes générations que le manager soit plus à l’écoute et dans l’accompagnement de leur développement. L’autoritarisme ne fonctionne plus. Cela nécessite donc de se poser la question de ce qui fait autorité, et c’est justement la capacité à faire réfléchir, à individualiser le management et à accompagner.
Donc les managers doivent se développer petit à petit dans leurs softskills, leurs compétences de management qui devient réellement un métier.
Mais attention, ils ne sont pas non plus des coachs, ou des psys. Ils ont un rôle de manager et de ce fait à un moment donné ils doivent également recadrer, remettre des règles pour soutenir la performance, l’enjeu de résultat collectif.
Comment donner envie, fidéliser les jeunes qui sont plus volatiles ?
Pour fidéliser un collaborateur, l’enjeu est de lui donner envie de rester. Pour cela nous devons peut-être faire évoluer nos structures, nos organisations, nos modèles RH pour apporter une promesse « d’apport de valeur ajouté ».
Des objectifs qui auparavant étaient SMART, descendants, imposés par le haut, aujourd’hui, il est peut-être plus pertinent de questionner le jeune sur où est-ce qu’il pense pouvoir apporter de la création de valeur, lui reconnaître cette autonomie, donner de la confiance à priori.
Cela passe par donner un cadre qui est focus sur la finalité et non le comment : « Tu dois aller dans tel cap, je te laisse faire le chemin, à quel moment as-tu besoin de guide ? », tout en étant suffisamment en observation, présent, disponible pour s’assurer qu’effectivement le jeune va dans le bon sens. Donc la question est de trouver la juste distance dans la relation managériale.
Maintenant quelqu’un qui a envie de partir, partira. La volatilité est à accepter. Et l’enjeu est aussi de s’organiser pour savoir rebondir quand les ressources partent alors qu’on vient de finir leur formation. Par exemple, comment au lieu d’affecter des individus à des postes, on va chercher une complémentarité de soft skills, de talents ? Le soft skills sera plus facile à remplacer en cas de départ car la base de connaissance reste à l’intérieur de l’entreprise. Tout cela est à inventer.
Les clés d’Ajadi :
Pour être manager des jeunes générations, l’enjeu est de rester à sa juste place de manager, sans devenir le parent du jeune dans l’entreprise. Cela nécessite de :
- Prendre du recul sur ses préjugés, ses émotions. Ne pas globaliser, quitter le combat.
- Être ouvert au progrès, à la création de valeur, à la différence.
- Donner du sens, rappeler le cadre de performance collective.
- Donner sa confiance à priori, s’appuyer sur les talents / la complémentarité des compétences.
- Accompagner pour renforcer son autorité. Quitter l’autoritarisme.
Cet article est issu du podcast « Les Pratiques du Management », durant lequel Aurélie Durand répond, chaque mois, aux questions de Frédérique Roseau, Rédactrice en Chef à la Revue Fiduciaire.