Qu’est-ce qu’un manager peut comprendre quand il entend qu’il doit faire preuve de courage managérial ?
Cela dépend de qui exprime cela. En effet, si c’est son N+1 qui lui dit qu’il doit avoir du courage managérial, il y a de grandes chances que cela soit pour recadrer l’équipe. En revanche, si ce sont ses collaborateurs qui lui disent qu’il manque de courage managérial, il est fort probable que cela soit dû à l’absence de résistance face à une décision de la hiérarchie.
Ce que l’on peut entendre derrière ces propos, c’est la capacité à puiser dans une forme de force morale pour résister, agir ou prendre des décisions qui vont à l’encontre de ce qui serait facile à accomplir.
Qu’attend une équipe qui aimerait que son manager ait du courage managérial ?
Généralement ce que l’on entend derrière l’expression « J’aimerais qu’il ait du courage managérial » est : « J’aimerais qu’il dise les choses, qu’il prenne des décisions fermes, qu’il soit équitable, qu’il préserve les valeurs. » Dans ces formulations, le collaborateur se met en attente vis-à-vis de son manager et projette de multiples exigences, qui sont du rôle du manager, complétées du fait que le manager soit authentique, bienveillant, vulnérable.
En fait, globalement, « j’aimerais qu’il ait du courage managérial » est une manière de dire : « j’attends que l’autre fasse, agisse pour le collectif en étant lui ».
Et derrière cette notion de courage managérial, il y a surtout le mot « courage ». Cela nécessite d’oser faire, de ne pas avoir peur d’agir, de prendre des décisions fermes dans des situations complexes. Cela n’est pas si évident que cela.
Peut-on attendre du manager qu’il n’ait pas peur d’agir ?
On ne peut pas attendre du manager qu’il n’ait pas de peur. La peur est l’une des émotions primaires. Quand elle se manifeste, c’est une bonne chose, c’est un indicateur de besoin protection. Quand on dit qu’il faut savoir gérer ou réguler ses émotions, cela ne signifie pas qu’il faut les ignorer, car elles sont présentes. On ne peut pas demander au manager de ne pas ressentir de peur.
Par contre, avoir du courage signifie être en capacité de ne pas se laisser envahir par cette peur. C’est-à-dire qu’il s’agit de reconnaître la présence de la peur tout en l’empêchant de prendre le dessus. Concrètement, cela signifie devenir conscient de sa peur. Lorsque la peur surgit, cela indique que j’ai besoin d’être rassuré, de mettre en place des mécanismes de protection. Pour ce faire, à ce moment-là, il est important de se questionner : de quoi j’ai peur ? Quel scénario catastrophe suis-je en train d’imaginer ? Quels sont les risques ? Comment m’en protéger ?
Pour ne pas se laisser envahir, il faut également être capable de se projeter sur une issue positive, et de visualiser ce que l’on gagnera en surmontant cette peur par rapport à notre objectif personnel ultime. C’est un peu similaire à l’approche des sportifs. Avoir un cap, visualiser, se préparer en prenant du recul pour renforcer « son mindset », analyser les sources de cette peur, les risques, etc.
Puis agir, étape par étape. Par exemple, si vous souhaitez faire du vélo à Paris, mais que vous craignez les accidents, vous n’allez pas prendre la place de l’étoile le 1er jour. Vous débuterez en vous protégeant avec un casque, avec un sac à dos indiquant les clignotants. Vous commencerez par emprunter les pistes les plus simples. Vous avancerez étape par étape.
Dans le contexte professionnel et relationnel, la peur se traduit souvent par l’appréhension de la réaction de l’autre. Il arrive souvent qu’on entende dire : « Je ne peux pas, j’ai peur du conflit », soit de la part du manager ou du collaborateur ou de soi-même. Tout individu doit faire preuve de courage relationnel.
Après avoir reconnu sa peur, il s’agit donc de se préparer et de se questionner : quels sont les scénario catastrophes ? Comment l’autre va-t-il réagir ? Quel est l’objectif à atteindre en surmontant mes craintes ? Comment puis-je le formuler ?
Et l’objectif dans le courage relationnel n’est pas de gagner contre l’autre, mais de gagner avec l’autre : qu’est-ce que je gagne en valeur ajoutée ? Qu’est-ce que le collectif gagne en valeur ajoutée ?
Cas pratique : Comment un manager peut-il réagir si ses collaborateurs refusent une réunion en présentiel un jour de télétravail ? Doit-il faire preuve de courage et l’imposer ? Que va-t-il gagner ?
La 1ere étape est de se questionner sur la situation et sur pourquoi je dois faire ou pas preuve de courage managérial.
Plutôt que de rentrer dans un combat en imposant « j’ai décidé, c’est comme ça », posture qui est en fait proche de la menace, du chantage et pas du tout constructive, la véritable question à se poser est : comment puis-je susciter l’intérêt et donner du sens à cette demande ?
Si je décide que la réunion doit avoir lieu en présentiel, ce n’est pas parce que je cherche à dominer, à faire mon « petit chef », c‘est parce qu’il y a une raison valable, un intérêt derrière cette décision. Il existe un objectif, un sens. Si ce sens n’est pas compris, les collaborateurs peuvent tout à faire interpréter la décision comme une tentative de contrôle : « De toutes façons c’est comme ça avec lui, on ne peut pas discuter ! ».
Si je cède et laisse faire parce que je comprends que ce n’est pas le moment adéquat en raison de multiples raisons, que je ne veux pas créer de conflits, que je souhaite prendre soin des autres, être gentil, être à l’écoute de la qualité de vie au travail : c’est une question de décision par rapport à différents objectifs managériaux, puis de manière de communiquer cette décision tout en amenant l’équipe à réfléchir au sens de faire une réunion en présentiel : « J’ai entendu que, pour un certain nombre d’entre vous, cette réunion n’était pas possible, j’ai décidé pour cette fois de privilégier le confort et l’équilibre de vie. Mais selon vous, quelle était l’intention de cette réunion ? C’est important que nous puissions tous nous voir ensemble pour renforcer la cohésion en cette période. Maintenant quand est-ce que cela est possible ? J’attends que nous trouvions ensemble une date convenable, puisque celle que j’ai proposée ne convient pas. Même si la date change, la mission et le sens demeurent. Quand pourrions-nous donc le réaliser ? »
Si le manager ne donne pas le sens, ne responsabilise pas le collectif, cela pourrait être interprété en « Dès qu’un collaborateur se plaint, le manager cède, il manque de courage. Il ne maintient pas ses positions. » ou « La semaine dernière, on a réussi à le faire lâcher, on pourra le faire la semaine prochaine aussi, pas de souci. »
Cas pratique : Comment trouver le courage de mettre fin à une période d’essai alors que cela aura un impact humain sur un individu, mais aussi sur l’organisation de l’équipe ?
Il est fort probable que l’absence d’action dans ce cas aura, que l’on soit manager, collaborateur, membre de l’équipe ou structure, des conséquences qui ne seront pas positives. Il y a de grandes chances que cela mène à l’inefficacité ou, du moins, à de l’incompréhension.
L’équipe risque de ne pas comprendre pourquoi la décision n’a pas été prise, car si le manager n’est pas convaincu, il est fort probable que d’autres l’aient également remarqué.
De plus, le fait de ne rien faire, revient à ne pas faire de feedback à la personne. Il n’y a pas de bienveillance réelle. Cela peut être de la gentillesse, mais il n’y a pas d’accompagnement dans le développement puisqu’on ne lui dit pas les choses. Cela entraîne de la confusion car la personne ne sait pas vraiment où elle se situe. En fin de compte, cela nuit à l’efficacité globale. Ce manque d’action est contre-productif.
Cependant, si on décide qu’il n’est pas possible d’agir, cela pourrait signifier que durant la période d’essai, certains éléments ont peut-être fait défaut, comme une clarté des objectifs attendus, des indicateurs de mesure sur lesquels on va se mettre d’accord pour évaluer si la période doit être renouvelée ou pas. Il manque peut-être les objectifs de la fonction ou le plan d’action pour permettre à la personne de réussir son intégration, ou de comprendre qu’elle ne réussit pas. Ou encore, il peut aussi manquer une phase d’observation.
C’est-à-dire que le manager ne dispose pas de données factuelles pour savoir pourquoi la personne a réussi ou échoué. Or c’est dans le rôle du manager de pouvoir valider ce point d’étape qu’est la période d’essai, mais la question doit aussi se poser du côté du collaborateur.
Si les informations sont présentes, la difficulté réside alors dans le fait d’avoir le courage de maintenir et communiquer cette prise de décision malgré l’impact émotionnel ou affectif que les collaborateurs ou l’équipe pourraient exercer. En effet, il pourrait y avoir une stratégie d’influence basée sur des éléments affectifs du type « Oui mais tu sais, il est comme ça, il faut tenir compte de ci ou de ça ». Malgré ces éléments, il est crucial d’objectiver et de mesurer les choses pour rester axé sur les faits et éviter de s’embarquer dans des interprétations ou des prises de décision basées davantage sur l’affectif que sur le rationnel.
Cependant, il est également important de prendre en compte les personnes. C’est là que la prise de recul devient essentielle pour clarifier les raisons, les communiquer de manière appropriée et avoir préalablement observé et mesuré les éléments pertinents. En effet, si on parle de courage, c’est qu’il peut y avoir une peur de la réaction de l’autre lors de l’annonce. Et dans ce cas particulier, l’autre peut être surpris. Cependant, si nous avons préparé, dialogué, fait des points, accompagné, l’autre peut effectivement être déçu, mais a priori pas surpris. Alors, comment faire face au fait que ma décision, celle de la structure, puisse potentiellement décevoir le collaborateur et le rendre triste ? Cela fait partie de la responsabilité du manager de la prendre et de l’annoncer, du moment que cette décision a du sens et est prise dans le respect du collaborateur.
À cette étape, le manager peut faire appel aux techniques de communication qui accompagnent et prennent en compte l’autre. Le manager peut exprimer « Je comprends ta déception et j’aurais souhaité également que nous n’arrivions pas à cette décision. Mais pour telle et telle raisons, et conformément à ce que nous nous étions dit à tel moment et tel moment, je ne peux confirmer la période d’essai. », puis ouvrir le dialogue, la discussion. Sachant que la réaction du collaborateur lui appartiendra.
Pour le manager, derrière la notion de courage, il y a la notion d’ancrage. Comment le manager peut avoir suffisamment préparé cet échange en amont, pris du recul sur sa propre émotion, anticiper les éventuelles émotions de l’autre, fait appel aux méthodologies de feedback, de communication non violente pour prendre en compte l’autre dans son humanité, tout en maintenant le cadre, l’exigence dans un souci de performance, d’efficacité, mais aussi pour l’épanouissement du collaborateur et de l’équipe à moyen terme.
Si le manager identifie que parfois il manque de courage managérial, que peut-il faire pour progresser ?
Cela dépend de son intention. Le courage ce n’est pas répondre en « combat » aux décisions de l’autre, cela n’est pas positif pour le collectif à long terme. « Ne pas se laisser marcher sur les pieds » est une question d’affirmation de soi, d’assertivité.
Si le manager veut s’améliorer car il pense manquer de courage, cela signifie renforcer son assertivité pour pouvoir affirmer ses positions tout en prenant en compte les positions de l’autre pour créer ensemble de la valeur.
Cela se travaille par la connaissance de soi. En fait, le plus grand courage, c’est le courage d’être soi, c’est le courage de se connaître soi. C’est d’avoir une autocompassion pour soi-même pour se dire « Là je ne peux pas, c’est ma limite, ça je ne sais pas faire. Maintenant je vois tout le sens à apprendre donc je vais chercher l’accompagnement de coachs, RH, amis pour prendre du recul, me recaler sur mon rôle, avoir quelqu’un avec moi dans le navire qui m’aide à faire le premier petit pas parce que je n’ai pas l’habitude de le faire. Ceci pour me permettre de prendre conscience que finalement ce n’est pas si compliqué ou pas si dangereux que ça d’agir. ».
Avoir une prise de conscience et une envie de se mettre en mouvement est le premier pas pour progresser. La suite est une première expérience accompagnée qui permet de vivre une expérience positive, puis de l’entrainement.
Le manager a le droit d’y aller par pallier et de demander de l’aide pour être accompagné. Il s’apprête à essayer de faire différemment de ce qu’il peut faire habituellement et cela n’est pas toujours facile !
Les clés d’Ajadi :
Renforcer son courage managérial c’est oser faire preuve de force morale. Cela nécessite de :
- Prendre du recul sur ses émotions et celles des autres
- Clarifier son rôle, son objectif et les résultats attendus
- Préparer l’action pour contrer les scénarios catastrophes
- Faire preuve d’autocompassion en s’entourant et acceptant la politique des petits pas
- Communiquer sur le sens de l’action pour diminuer les projections
- Observer et ajuster son action en fonction du résultat
Cet article est issu du podcast « Les Pratiques du Management », durant lequel Aurélie Durand répond, chaque mois, aux questions de Frédérique Roseau, Rédactrice en Chef à la Revue Fiduciaire.