Un manager, dirigeant doit-il prendre en compte les problèmes personnels de ses collaborateurs ?
Oui c’est important de prendre en compte les problèmes personnels des collaborateurs, comme les siens, i.e ceux des managers également.
Nous sommes des êtres entiers, ce qui nous affecte dans notre vie personnelle nous affecte dans notre vie professionnelle et vice-versa.
Mais prendre en compte ne veut pas dire prendre en charge ou solutionner, autrement dit ce qui appartient à la vie personnelle est à accompagner et résoudre dans la vie personnelle.
Comment bien faire la différence entre prise en compte et prise en charge ?
Prendre en compte c’est faire preuve d’empathie, c’est-à-dire d’accueil, d’écoute, d’attention, de compréhension de ce que ces problèmes ont comme impact sur l’autre et d’accompagnement pour soulager la charge mentale inhérente à ce problème.
Tout en restant dans le périmètre de ce que les responsabilités ou l’organisation de l’équipe permettent de faire. Pas au-delà.
Et la notion d’investissement émotionnel dans cet échange est importante !
Se mettre ou être dans le rôle du « sauveur » ou du « psy » n’est pas approprié, tant pour le manager que pour le collaborateur. Sur la durée cela peut créer des malaises encore plus dysfonctionnels. Comme au contraire « faire la politique de l’autruche » ou « balayer le problème » peut être vécu comme maltraitant et avoir bien sûr un fort impact négatif.
Le juste dosage est important.
Comment le manager peut il faire et où doit-il s’arrêter ?
Premièrement, il doit s’intéresser au contexte de vie de ses collaborateurs, les situations familiales ne sont pas toutes les mêmes et peuvent générer plus ou moins de difficultés.
Mais attention, encore une fois, s’intéresser, ne veut pas dire être intrusif ou se laisser envahir, il faut écouter et comprendre ce que les collaborateurs partagent et leurs éventuelles difficultés associées.
Certains collaborateurs ne souhaitent pas en parler. Il peut s’agir d’une volonté de préserver leur intimité, dans ce cas, c’est à respecter c’est leur choix.
Mais cela peut être également une réserve liée à la culture de l’entreprise, non favorisante sur ce thème, ou à des faits observés dans le passé dans l’équipe. Dans ces 2 derniers cas, la problématique est bien sûr plus complexe.
D’autres au contraire, peuvent avoir tendance à s’épancher auprès de vous ou de l’équipe, et là il faut savoir dire votre attention, mais aussi leur rappeler votre rôle et le contexte professionnel.
Cette posture d’empathie est très fine et demande beaucoup de tact. Savoir écouter, accueillir tout en repositionnant le cadre est délicat. Rester à sa place est délicat.
Et la meilleure manière de le faire sans apparaitre comme « un goujat » ou « un sauveur », c’est : d’écouter, accueillir, puis de reformuler ce que vous avez entendu, votre compréhension de la difficulté, et ensuite indiquer qu’étant dans un contexte professionnel, vous ne pouvez aller plus loin sur ce sujet personnel.
Et en complément, interroger et faire réfléchir l’autre sur :
Comment il se sent soutenu par ailleurs ? Quelles ressources il pourrait trouver ? Ce dont-il aurait besoin de votre part dans le cadre professionnel ?
Dans le cas où le collaborateur demande une action, s’il exprime une requête, vous pourrez voir dans quelle mesure il vous est possible d’y répondre par une réorganisation temporaire du temps de travail ou de ses responsabilités, ou lui indiquer l’impossibilité et réfléchir avec lui à une autre solution.
Par contre, ce n’est pas au manager de trouver une solution, car il n’est pas là pour prendre en charge, son rôle est d’accompagner et de répondre au besoin exprimé par le collaborateur.
Bien sûr, toutes ces adaptations temporaires doivent être suivies et accompagnées de RDV réguliers pour faire le point, mais il est aussi important de définir ensemble comment elles seront communiquées à l’équipe, qui sera sûrement impactée, et pour laquelle il faudra être attentif au principe d’équité.
Dans le cas où certains collaborateurs ne veulent pas parler de leurs difficultés personnelles ou si le manager a eu l’info par l’équipe, comment faire ?
Si vous en avez l’information par l’équipe, ce que vous pouvez faire c’est de provoquer une discussion informelle dans laquelle vous demandez tout simplement au collaborateur « comment il va ? » il vous répondra ce qu’il souhaite. Et lui dire que c’est dans votre rôle d’être à son écoute et qu’il peut vous solliciter en cas de besoin.
Et il vous appartiendra également d’accuser réception auprès de l’équipe en indiquant que vous allez voir ce point directement avec le collaborateur concerné ; et d’être à l’écoute de votre équipe si ces difficultés ont un impact sur le collectif.
Cette prise en compte fait partie intégrante du rôle d’un manager.
Nous sommes tous humains, l’empathie est la base de l’épanouissement de relations de confiance entre adultes responsables. (Et encore une fois, cela fonctionne dans les 2 sens, le manager aussi est humain et peut parfois avoir des attitudes moins adaptées, s’il est sous pression dans son champ privé).
Donc au-delà du fait que l’empathie est humaine, c’est dans le rôle du manager, du dirigeant d’être en prévention de ce qu’on appelle la souffrance au travail qu’elle soit individuelle ou collective.
Et parfois, ce sont des problématiques personnelles qui induisent cette souffrance au travail. Par exemple, prenons le cas suivant d’un collaborateur préoccupé par son conjoint, son enfant, son parent, sa maison, ses finances, sa santé, il y a de grandes chances qu’il perde en efficacité en raison du stress ou de la fatigue inhérente.
Nous ne sommes pas des robots ! En effet, oui, la cause est exogène, mais l’impact est entre autres sur votre capacité à remplir votre mission professionnelle, voir aussi sur l’efficacité collective de l’équipe. Le manager est responsable d’accompagner ses collaborateurs dans leur capacité à remplir leur mission et d’être en prévention.
Lorsque ces problèmes personnels impactent le travail jusqu’à mettre le collaborateur ou l’équipe en difficulté, comment faire ?
Si votre collaborateur ne parle pas de ses difficultés, en tant que manager vous êtes responsable et légitime à avoir un échange avec lui en One2One à partir du moment où cela a un impact sur son travail et/ou celui de l’équipe.
Dans ce cas, lui indiquer que vous avez observé des changements dans ses comportements et que vous aimeriez en parler avec lui pour voir dans quelle mesure vous pouvez l’accompagner, est important.
Et bien sûr, le rassurer sur le caractère confidentiel de cet échange et que n’en sortira que ce que vous déciderez ensemble comme plan d’actions.
En sachant que si à l’issue de cet échange, le manager n’a pas la perception que le collaborateur a repris une respiration => dans ce cas, nous rentrons dans son rôle d’orientation dans un contexte de risque psychosocial et le manager pourra orienter le collaborateur vers les RH, la médecine du travail, les assistantes sociales, les cellules d’écoute psychologiques. Le CSE a également un rôle à jouer.
Et cela peut aller jusqu’à l’alerte, c’est-à-dire indiquer au collaborateur qu’il est dans son devoir de manager de solliciter les RH ou la médecine du travail pour qu’ils aient un entretien confidentiel avec lui pour encore une fois, l’accompagner au mieux.
Et si le manager est dirigeant de TPE/PME, dans ce cas il doit se rapprocher de spécialistes de la prévention des RPS qui pourront le guider et le soutenir.
Que faire si le manager, humainement, ne se sent pas capable d’avoir ce type d’accompagnement ?
Ce rôle du manager est délicat. Savoir accueillir les difficultés de l’autre sans se faire envahir, sans chercher une solution à tout prix, tout en tenant son rôle et ses responsabilités, c’est difficile. Et cela l’est d’autant plus s’il est le patron direct dans une TPE.
Tenir le cadre et son rôle avec empathie, est un comportement qui nécessite que le manager aille puiser dans ses ressources relationnelles et qu’il prenne de la distance émotionnellement. C’est-à-dire qu’il est nécessaire qu’il ait en amont, pris du recul pour déterminer ce que la situation déclenche en lui comme émotion ; il peut être inquiet de ne pas savoir gérer, ou considérer qu’il n’est pas le psy ou l’ami, ce qui est effectivement le cas.
Pour ce faire, il peut se questionner sur : Qu’est-ce que cela me fait ? Ma réaction réflexe est-elle appropriée ? Quel est mon rôle ? Comment puis-je agir tout en restant juste avec moi, c’est-à-dire en restant à ma place et en m’exprimant selon mes valeurs ? Quel serait le pire scénario catastrophe ? Qu’est-ce que je pourrai dire ou faire si mon collaborateur pleure, s’épanche, s’énerve, me demande de l’aider à tout prix ? etc…
Cette prise de recul, et préparation en amont, lui permettront de limiter ses réactions inappropriées et d’agir en fonction de son rôle à savoir : accompagner.
Être accompagné dans cette préparation par les RH ou un spécialiste externe est un plus. Surtout dans les cas :
– où il a lui-même été confronté à des situations similaires dans lesquelles il s’est débrouillé seul ou a dû se débrouiller seul;
– où si cette difficulté est une conséquence d’une décision managériale ou d’entreprise qu’il doit assumer;
– où si le collaborateur n’a lui-même pas de distance et est passif ou très revendicatif;
– et encore plus s’il est directement le patron, les enjeux émotionnels sont démultipliés de part et d’autre.
Les clés d’Ajadi
- Faire preuve d’empathie : écouter, accueillir, se mettre à la place de l’autre.
- Reformuler sa compréhension de la situation, tant personnelle que professionnelle.
- Interroger, faire réfléchir le collaborateur sur ses besoins et ses ressources.
- Définir le plan d’actions temporaire de réorganisation, les points de suivi et la communication faite à l’équipe.
- Et encore une fois, prendre du recul sur ce que la situation et posture du collaborateur lui génère comme émotion pour ajuster ses réactions à son rôle et non être en réaction « spontanée ».
Cet article est issu du podcast « Les Pratiques du Management », Aurélie Durand répond mensuellement aux questions de Frédérique Roseau, Rédactrice en Chef à la Revue Fiduciaire.