Entretenir une amitié dans la vie pro : un cadeau empoisonné ?

Est-ce pertinent de dire qu’on doit laisser l’affectif hors de l’entreprise et ne pas mélanger relation amicale avec relation professionnelle ? 

L’entreprise n’est pas le lieu de l’affectif. L’affectif doit rester à l’extérieur. Une relation professionnelle est une relation transactionnelle. Ce qui nous relie sont des liens hiérarchiques, contractuels, fonctionnels, et non des liens amicaux. Le lien amical appartient à la sphère privée.  

Donc attention à certaines modes managériales qui prônent le management amical et le développement de relations amicales au travail, il s’agit d’un mélange des genres.  

Favoriser des relations cordiales et conviviales, oui  ! Mais avoir des relations amicales dans le cadre de l’entreprise, cela n’est pas une obligation : cela est du champ de la vie privée. 

De plus, gérer une relation amicale, qui appartient au domaine privé, en plus d’une relation transactionnelle qui est du domaine public, cela rajoute une complexité à contexte professionnel qui n’est déjà pas simple. 

Mais nous sommes des êtres humains, et nous ne pouvons nous couper en 2, donc dans les faits, cela est difficile de laisser l’affectif hors de l’entreprise. Ainsi certains développeront des affinités, d’autres viendront ou créeront leur entreprise avec des amis.  

Quels peuvent être les bénéfices et les risques d’une relation amicale sur une relation professionnelle ?  

Quand il y a une relation amicale, il y a priori des valeurs communes, un partage d’un même univers, un plaisir à travailler ensemble, ce qui permet de plus fédérer, d’améliorer la créativité et l’efficacité.  

Mais attention aux excès. Une relation amicale peut apporter de la plus-value sous réserve que les protagonistes et l’équipe considèrent que la priorité dans le cadre professionnel est de tenir compte du collectif. Tout est question d’équilibre. 

Un risque est que les protagonistes créent ou que l’équipe développe une logique de clan, ce qui aura un effet contreproductif. 

Ou qu’on passe plus de temps a échanger avec son ami.e en oubliant son engagement contractuel, c’est-à-dire le fait qu’on est là pour travailler. 

Enfin, trop de ressemblances, de similitudes de pensée, l’absence de diversité de points de vue et de référentiels peuvent sur le long terme diminuer la créativité et augmenter les biais cognitifs. 

Comment les protagonistes peuvent s’autogérer pour limiter les risques sur la relation de travail ?  

Le manager a son rôle. Même s’il peut chercher à favoriser une ambiance cordiale et conviviale qui génère de l’émulation positive, il doit être vigilant à ces relations amicales. Ce n’est pas toujours évident de se rendre compte de l’impact de la relation amicale sur la dynamique collective de l’équipe.  

Ainsi, le manager peut poser des gardes fous en installant un cadre qui rappelle qu’il peut y avoir des affinités à partir du moment où elles sont dans le respect du collectif.  

Et en cas de débordements, le manager peut faire un feedback, mettre en miroir ses observations pour permettre une prise de conscience aux protagonistes. 

En cas de tensions, jalousie dans l’équipe en raison d’une relation amicale, comment peut procéder le manager ? 

Une relation amicale dans une équipe peut ne provoquer aucune tension, les protagonistes et les autres membres de l’équipe n’étant pas dans une confusion affective.  

Mais dans le cas contraire, en 1er le manager doit être explicite et clair sur le cadre et rappeler que l’objectif est un travail d’équipe. Il peut faire réfléchir son équipe à « Qu’est-ce qu’une équipe ? » « Quelle est la place et valeur ajoutée de chaque membre ? » « Comment jouer plus collectif ? ». 

Il peut aussi favoriser les rencontres pour inciter l’ouverture en créant des réflexions communes, des groupes de travail transverses, en augmentant les moments de convivialité (sans les forcer), en incitant le brassage au sein des locaux. Généralement, c’est l’absence de temps de rencontre qui génère la diminution de relations cordiales et conviviales. 

Et s’il y a recroquevillement, souffrance de certains membres de l’équipe, le manager peut dans des entretiens One2One la nommer pour faire prendre conscience aux protagonistes de l’effet produit par leur relation sur d’autres membres de l’équipe.  

Mais le manager peut aussi faire prendre du recul émotionnel à ceux qui perçoivent du rejet, de l’injustice, du favoritisme dans cette relation amicale.  

En effet, ce qui appartient à la vie privée reste dans la vie privée. S’il y a une amitié qui est installée, c’est à chacun de la respecter. 

Pour réguler ces tensions, s’il s’agit d’un sujet de maturité émotionnelle et relationnelle, il est préférable que le manager fasse appel à un coach. 

Que faire si des tensions au sein de la relation amicale apparaissent ?

Des tensions au sein de la relation amicale peuvent effectivement avoir un impact sur l’efficacité professionnelle. Il est possible d’observer une perte de motivation, de l’irritabilité, une mauvaise ambiance collective.  

Comme pour tout conflit, c’est dans rôle du manager de s’en préoccuper, en rappelant a minima à chacun ses rôles et responsabilités professionnels et que ces tensions d’ordre privé n’ont pas leur place dans le cadre professionnel. Compte tenu de la situation délicate avec le mélange des sphères privées et publiques, le manager pourra faire appel à des médiateurs pour réguler ces tensions et identifier un plan d’actions, dans le champ professionnel.  

Quelle attention spécifique si la relation amicale s’entrecroise avec un lien hiérarchique ou une promotion ? 

En cas de lien hiérarchique doublé d’un lien amical, les protagonistes doivent encore plus prendre du recul en se questionnant sur comment leur amitié vient / ne vient pas influencer leur objectivité et les perceptions du reste de l’équipe ? 

L’amitié peut induire une perception de favoritisme par le reste de l’équipe dans les prises de décisions, même si elles sont objectives. 

Donc la relation amicale rajoute un degré de complexité et d’exigence et nécessite encore plus d’être très explicite sur ses choix, sur son cadre, sur ses limites que ce soit vis-à-vis de l’ami.e que vis-à-vis du reste de l’équipe. 

Surtout si une promotion doit être accordée par l’un des deux à l’autre. Il n’y a pas à y renoncer si elle est objective, mais il faut encore plus la préparer. Comme dans toute promotion on félicite et on explique de façon à ce qu’il n’y ait pas d’incompréhensions, d’émotions négatives, type jalousie qui s’installent et que la prise de poste se fasse dans les meilleures conditions.  

Et si malheureusement dans l’équipe il y a pour des raisons historiques, culturelles, relationnelles une insécurité psychologique, des irritants, des rumeurs réveillées par cette promotion, le manager devra en parallèle remettre le cadre pour améliorer la qualité relationnelle et refocusser l’équipe sur le résultat, ceci avec l’accompagnement d’un coach extérieur au système pour réguler. 

Enfin, pour que la relation amicale perdure, il est nécessaire qu’il y ait entre les 2 protagonistes une clarté de ce qui est attendu par chacun du lien amical dans le cadre professionnel. Il faut que tous les deux aient la capacité d’échanger sur les avantages, risques, inconvénients, qu’ils aient une bonne capacité de prise de recul et de qualité de communication, surtout en cas de promotion de l’un d’eux par l’organisation : comment est-ce que je le vis ? Comment est-ce que je respecte ou non la légitimité et le périmètre de l’autre ?  

La qualité du lien de l’amitié peut être éprouvée dans tous ces moments-là. 

Les clés d’Ajadi : 

Entretenir une relation amicale dans le cadre professionnel apporte une dynamique positive, mais c’est à manier avec précaution car elle rajoute de la complexité aux relations professionnelles. Plusieurs clés, que ce soit pour les ami.e.s, les managers ou les autres membres de l’équipe :  

  • Poser et respecter le cadre professionnel, les limites vie privée et vie publique. 
  • Rester ancré dans son rôle, prendre du recul émotionnel et relationnel 
    • Clarifier les attendus, la qualité & réciprocité des relations. 
    • Agir suivant ses rôles et ses responsabilités transactionnels. 
    • Être clair dans ses actes et sa communication  
  • Observer et réguler l’efficacité collective, détecter au plus tôt les éventuelles tensions ou conflits.  
  • Faciliter la collaboration et la communication pour brasser, inciter à s’ouvrir à la rencontre. 

Cet article est issu du podcast « Les Pratiques du Management », durant lequel Aurélie Durand répond, chaque mois, aux questions de Frédérique Roseau, Rédactrice en Chef à la Revue Fiduciaire. 

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